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« Nous avons besoin d'un programme plus audacieux pour renforcer et promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie pour tous. »

Entretien avec Borhene Chakroun, directeur par intérim de l'Institut de l'UNESCO pour l'apprentissage tout au long de la vie
Borhene Chakroun

Le 15 mai 2023, M. Borhene Chakroun a pris ses fonctions de directeur par intérim de l'Institut de l'UNESCO pour l'apprentissage tout au long de la vie (UIL). Dans un entretien, il partage son point de vue sur la situation de l'apprentissage tout au long de la vie, les défis à venir et le rôle que l'UIL peut jouer pour les relever, ainsi que les priorités de son mandat en tant que directeur par intérim.

En tant que directeur de la Division des politiques et des systèmes d'apprentissage tout au long de la vie au Siège de l'UNESCO et maintenant directeur par intérim de l'UIL, quelle est votre motivation personnelle pour promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie ?

Tout d'abord, je suis moi-même un apprenant tout au long de la vie ! J'ai eu l'occasion d'apprendre dans différents contextes tout au long de mon parcours académique, professionnel et personnel. Étudier dans différents pays a fait partie intégrante de ma trajectoire et de mon parcours d'apprentissage. J'ai également travaillé sur l'apprentissage tout au long de la vie dans le cadre de mon travail universitaire, mon doctorat portant sur la validation des acquis de l'expérience et l'apprentissage des adultes. En outre, dans ma vie professionnelle, je me suis consacré à l'examen des moyens de soutenir les parcours d'apprentissage et à l'examen de l'apprentissage tout au long de la vie sous divers angles – du point de vue de l'apprentissage formel, non formel et informel, du point de vue de l'apprentissage précoce jusqu'à l'apprentissage à l'âge adulte – tout en étudiant la manière de reconnaître et valoriser l'apprentissage dans différents contextes. Enfin, j'ai appris des autres et avec les autres, en rejoignant des communautés de pratiques en ligne et hors ligne.

Les pays du monde entier se sont engagés à promouvoir les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie pour tous d'ici 2030 dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Quel est votre point de vue sur la situation actuelle de l'apprentissage tout au long de la vie dans le monde et quels sont les défis à relever ?

L'Objectif de développement durable 4 englobe les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie pour tous. Cet aspect est souvent négligé. Nous devons vraiment souligner l'importance de cet objectif qui a fait l'objet d'un accord international et proposer un programme plus audacieux pour améliorer et promouvoir les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie pour tous.

Nous sommes confrontés à différents défis, et trois d'entre eux sont cruciaux. Le premier défi consiste à atteindre les groupes les plus marginalisés et les plus défavorisés. Malheureusement, les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie profitent principalement aux personnes déjà qualifiées, tandis que les personnes moins qualifiées, comme celles qui ont quitté le marché du travail, en sont souvent exclues. L'égalité entre les sexes et l'intégration des minorités sont essentielles à cet égard. Nous devons atteindre les personnes les plus vulnérables et veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.

Le deuxième défi concerne notre capacité à mettre en place des systèmes qui répondent à la diversité des parcours et des besoins d'apprentissage. Si les systèmes sont structurés, ils ne tiennent pas nécessairement compte des différents parcours d'apprentissage, des différents besoins, des différentes situations de vie et de travail. La capacité d'offrir des parcours d'apprentissage flexibles en tirant parti de et en reliant divers cadres d'apprentissage qui répondent à différentes exigences est un défi auquel sont confrontés tous les États membres, quel que soit leur niveau de développement.

Le dernier défi que je vois est lié à la nécessité de politiques et de financements adéquats des opportunités d'apprentissage tout au long de la vie pour tous. Le financement des politiques publiques en général, et de l'éducation, constitue déjà un défi. Celui du financement de l'éducation des adultes est double : premièrement, l'éducation des adultes ne relève souvent pas de la compétence de départements ou de ministères spécifiques, ou peut être complètement négligée au sein du système éducatif ; deuxièmement, le financement de l'éducation des adultes manque d'objectifs précis pour l'allocation des ressources. Bien que nous ayons fixé des objectifs pour l'ODD 4, tels qu’allouer 4 à 6 % du PIB et 5 à 20 % des dépenses publiques à l'éducation, cela ne fournit pas une granularité suffisante concernant l'allocation des ressources à l'éducation des adultes et à l'apprentissage tout au long de la vie. Enfin, les parts du gâteau sont petites. Par conséquent, si nous sommes réellement déterminés à augmenter les ressources consacrées à l'éducation et à l'apprentissage tout au long de la vie, nous devons explorer des pistes telles que les réformes fiscales, les méthodes de financement innovantes et une combinaison d'aide au développement nationale et internationale pour les économies en développement.

Quel rôle voyez-vous l'Institut de l'UNESCO pour l'apprentissage tout au long de la vie jouer pour relever ces défis et transformer l'éducation et l'apprentissage ?

L'UIL a entrepris un travail considérable, notamment en plaçant l'apprentissage tout au long de la vie sur l'agenda politique, par exemple à travers le récent Cadre d'action de Marrakech et auparavant à travers des initiatives telles que les Conférences internationales sur l'éducation des adultes (CONFINTEA), le Rapport mondial sur l'apprentissage et l’éducation des adultes (GRALE) et la Recommandation sur l'apprentissage et l'éducation des adultes (RALE). Nous disposons donc d'un large éventail d'instruments et de programmes qui permettent à l'UIL de faire progresser l'agenda politique.

En termes de mise en œuvre de l'apprentissage tout au long de la vie dans le monde, notre travail sur le Réseau mondial des villes apprenantes de l'UNESCO, sur la promotion de l'alphabétisation et de l'apprentissage familiaux et intergénérationnels, et sur le renforcement de l'inclusion des groupes vulnérables, tels que les détenus, dans l'apprentissage tout au long de la vie est très important pour progresser vers l’atteinte de l'Objectif de développement durable 4. Notre Alliance mondiale pour l'alphabétisation constitue une autre plateforme qui offre aux États membres la possibilité de relever un défi majeur auquel nous sommes confrontés à l'échelle mondiale.

En ce qui concerne le financement de l'apprentissage et de l'éducation des adultes, le Cadre d'action de Marrakech et, plus largement, le processus de la CONFINTEA ont permis de réaliser des progrès notables dans ce domaine. Il s'agit d'un domaine où notre travail avec les gouvernements et les différentes parties prenantes peut avoir un impact plus important. Si nous avons réussi à fixer l’agenda, nous devons maintenant nous concentrer sur sa concrétisation en collaborant avec les États membres pour rendre les cadres pratiques et efficaces.

Quelles sont vos priorités en tant que directeur par intérim ?

J'aimerais donner la priorité à trois domaines dans les mois à venir. Tout d'abord, il est essentiel de mettre en œuvre et d'accomplir efficacement le programme de travail 2023 de l'UIL. Avec une gamme complète d'activités, notre programme ambitieux exige un engagement total, une mobilisation et la capacité de tenir ses promesses. J'ai une grande confiance en notre équipe pour atteindre ces objectifs avec succès, car nous nous alignons sur les attentes de notre organe directeur, de nos mandants, de nos bénéficiaires et de nos États membres. La deuxième priorité est centrée sur notre personnel et vise à encourager le travail d'équipe, à permettre aux collègues de se développer professionnellement et à leur donner les moyens de mener à bien leurs activités. Enfin, il est de la plus haute importance de bien positionner l'UIL dans l'écosystème de l'UNESCO, dans son secteur de l'éducation, parmi les États membres, et de cultiver des relations avec la communauté internationale au sens large, y compris les donateurs, les partenaires financiers et les collaborateurs techniques. Et bien sûr, une collaboration étroite avec notre pays d'accueil, l'Allemagne, est essentielle.

Ces trois priorités guideront mon mandat de directeur, qui s'appuiera sur l'excellent travail accompli par mon prédécesseur, David Atchoarena.